Les règles dans le monde : l’Espagne, l’instauration d’un congé menstruel

24/10/2022

Le 28 mai 2021, la philosophe féministe, Camille Froidevaux-Metterie, publiait sur Twitter ce message très combattif : « L’intime est devenu politique et c’est par la question des règles que tout a commencé au tournant des années 2010. Taxation des produits hygiéniques, inadaptation des lieux publics, déni dans le monde du travail, congés menstruels et endométriose, précarité menstruelle, continuons le combat ! ».

A croire que les Espagnols ont bien reçu le message, puisque le 17 mai 2022 le Conseil des ministres espagnol a validé un avant-projet de loi, rédigé par le ministère de l’Égalité, qui prévoit que les femmes actives auront la possibilité de prendre un congé menstruel, appelé aussi « congé règles », sans durée limitée en cas de dysménorrhée, autrement dit, en cas de règles douloureuses.

L’Espagne, premier pays européen à instaurer le congé menstruel

Le combat pour l’intégration juste des femmes dans le monde du travail et la réduction des inégalités salariales ne date pas d’hier en Espagne :

  • En 2007, le gouvernement votait une loi très volontariste visant à abolir les discriminations dont les femmes espagnoles sont victimes dans leur vie professionnelle et publique : équilibre hommes-femmes sur les listes électorales et dans les conseils d’administration, « plans égalité » dans les entreprises, etc.
  • En mars 2018, à l’occasion de la Journée internationale de la femme, plus de 5 millions de personnes se mobilisaient dans une grève nationale pour faire reconnaître le rôle des femmes dans l’économie espagnole. Avec un mot d’ordre : « Si les femmes s’arrêtent de travailler c’est toute la société qui s’arrête de fonctionner ».
  • Enfin, le 17 mai 2022, à la faveur du retour de la gauche et des préoccupations féministes au sein du gouvernement, la ministre de l’Égalité, Irene Montero (l’une des chefs de file du parti de gauche radicale Podemos) a annoncé la validation d’un avant-projet de loi prévoyant la suppression totale de la TVA pour les produits d’hygiène féminine ; le renforcement de l’accès à l’IVG dans les hôpitaux publics ; la possibilité, pour les mineures, d’avorter sans l’autorisation de leurs parents, dès l’âge de 16 ans ; et enfin le congé menstruel.

« Nous allons être le premier pays d’Europe à instaurer un arrêt maladie temporaire financé intégralement par l’État pour des règles douloureuses et invalidantes. (…) Les règles ne seront plus taboues. C’en est fini d’aller au travail en se gavant de comprimés et de cacher notre douleur », s’est félicitée Irene Montero. Concrètement, les femmes souffrant de règles « invalidantes » pourraient disposer d’un arrêt maladie, qui serait sans durée limite à condition d’être validé par un médecin, et la Sécurité sociale espagnole prendrait en charge leur salaire.

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congé menstruel Espagne

Le congé menstruel, un sujet complexe et controversé

Lors de l’annonce faite par le gouvernement espagnol, Élise Thiébaut, journaliste et autrice de Ceci est mon sang, « Petite histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui les font », réagissait sur le site d’information Slate.fr en ces termes : « Les femmes ont leurs règles, et cette spécificité peut affecter leur bien-être au travail, même si elles ne sont pas malades. C’est une preuve de considération de leur proposer ce congé menstruel qui devrait faire partie d’un ensemble de propositions de la part de l’entreprise, comme les protections périodiques à disposition ou les salles de repos».

Car le congé menstruel, détaché de cette prise en compte globale et acceptée du bien-être des femmes au travail, pourrait bien s’avérer contre-productif. Au sein même du gouvernement espagnol, certains ministres socialistes ont exprimé des réserves, craignant que le coût élevé de la mesure n’aboutisse au final à privilégier le recrutement de salariés masculins. Un argument repris par beaucoup au sein de la mouvance féministe qui redoutent que l’instauration d’un congé menstruel n’associe le fait d’être femme à une maladie, au risque de discriminer encore plus les femmes à l’embauche et de renforcer leur stigmatisation dans l’entreprise.

Quoi qu’il en soit, le fait que les règles deviennent un sujet public et politique constitue une belle avancée, et tout ce qui va dans le sens d’une libération de la parole sur le sujet de la santé féminine est salutaire et bienvenu. Il paraît en effet inimaginable qu’en 2022 les femmes doivent encore dissimuler au travail le stress, la fatigue, la nausée, les crampes, les douleurs au dos, aux seins ou au ventre qui les affectent au moment des règles…

Le congé menstruel dans le monde

Elizabeth Hill, professeure associée à l’Université de Sydney, a étudié de manière approfondie les politiques de congé menstruel dans le monde et publié en 2020 une étude sur le sujet. Elle y indique quels pays ont instauré ce droit, tout en soulignant que les femmes n’y ont que très minoritairement recours, de crainte des effets pervers de stigmatisation qu’il recèle :

  • Au Japon, le droit au congé menstruel est inscrit dans la loi depuis 1947 en ces termes : « Lorsqu’une femme pour qui le travail pendant les périodes menstruelles serait particulièrement difficile demande un congé, l’employeur ne doit pas la faire travailler pendant ces jours-là ». Mais dans les faits, une enquête de 2020 a établi que seulement 0,9% des employées éligibles déclaraient avoir pris des congés menstruels.
  • En Corée du Sud, les employées sont autorisées à prendre un jour de congé menstruel par mois, qui n’est pas payé. Les entreprises qui ne respectent pas la loi sont passibles d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à deux ans ou d’une amende de 5 millions de won, soit environ 3.750 euros. Mais la riposte masculine est tenace, certains travailleurs masculins ayant publiquement traité le congé menstruel de « sexisme inversé ».
  • En Indonésie, la loi octroie en principe depuis 2003 un ou deux jours de congés payés en début de cycle menstruel, en cas de règles douloureuses, dans le cadre de négociations entre les employeurs et les syndicats. Au final, peu d’entreprises respectent ces dispositions.
  • En Zambie, depuis 2015, la loi accorde aux femmes le droit à un congé menstruel qui leur permet de prendre un jour de congé supplémentaire par mois, sans préavis ni certificat médical en cas de règles douloureuses. Cette « fête des mères », plus ou moins respectée, se joue dans un cadre qui reste au quotidien très informel.
  • En France enfin, quelques rares entreprises ont institué un congé menstruel en leur sein, mais le congé règles ne figure pas encore dans la loi ni dans les conventions collectives.

Force est de constater que les congés menstruels ne sont pas encore rentrés vraiment dans les mœurs, mais comme le soulignait la ministre espagnole, Irene Montero, en mai 2022 : « Comme toujours, quand les droits des femmes avancent, il y a un espace pour le débat. Ce qui est stigmatisant est que nous supportons en silence les douleurs menstruelles, que nous ne puissions pas parler des règles avec normalité et que ce soit une douleur non reconnue par l’État ». C’est dit, et chez Réjeanne, nous adhérons totalement à ce point de vue. Tout en vous proposant, pour mieux vivre vos règles, à la maison et au travail, nos jolies culottes menstruelles, sûres, saines et confortables !

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